L’origine commune des brahmanes indiens et des druides celtiques dévoilée

Mathieu Halford, ingénieur agronome belge et chercheur indépendant, formule la thèse d’une culture indo-européenne originelle remontant à l’époque néolithique à partir de laquelle auraient émergé les sociétés celtes et indiennes. L’essai a été écrit en collaboration avec l’historien Bernard Sergent, chercheur au CNRS et président de la Société de mythologie française.

Pour défendre sa thèse, Mathieu Halford compare les sociétés indiennes et celtiques. L’exercice présente deux difficultés majeures. La civilisation celtique a progressivement disparu ; défaite par les légions romaines et absorbée par le christianisme. Le mode de transmission oral de l’enseignement druidique, de maitre à disciple (comme en Inde), complique cette tâche, les druides ayant laissé très peu d’écrits.

Cependant, Il reste des traces de ce savoir, notamment dans la littérature irlandaise. Et c’est précisément cette dernière que Mathieu Halford a étudiée. Il fait le pari que la civilisation indienne, toujours bien vivante, peut nous apprendre davantage sur la spiritualité des Celtes par le jeu des comparaisons. L’historien des religions Mircea Eliade écrivait qu’ « on retrouve en Irlande nombre d’idées et de coutumes attestées dans l’Inde ancienne ».

Il ressort de son étude que les Celtes et les Indiens partagent un nombre élevé de similitudes qui ne peuvent pas être le fruit du hasard. L’auteur les énumère :

  • La structuration de ces deux sociétés
  • Les fonctions des druides et des brahmanes et leur place au sommet de la hiérarchie sociale
  • La langue, la littérature, les mythes
  • Les croyances (notion d’âme, réincarnation, non-dualisme, éveil)

Sylvain Lévi, grand indologue et professeur au Collège de France, compare la tradition celtique comme « presque un chapitre de l’histoire de l’Inde sous un autre nom ».

Organisation similaire de la société

Selon la thèse de Georges Dumézil, les sociétés d’origine indo-européenne organisent l’activité humaine en trois fonctions : religieux, guerrier et économique. Cette tripartition fonctionnelle existait en Irlande (on parle respectivement des fili, des flaith et des aithech) et perdure en Inde (brahmana, kshatriya et vaishya).

Brahmanes et druides, une importance comparable dans leur société respective

  • Ils sont au sommet de l’échelle sociale, constituant des binômes avec des rois qu’ils prédominent.
  • Ils ont le monopole des actes religieux. Ils s’occupent des sacrifices.
  • En plus des fonctions religieuses, brahmanes et druides peuvent se spécialiser dans différents domaines. Ils exercent des métiers d’enseignants, d’astronomes, d’architectes, de juges, d’ambassadeurs, de médecins, d’historiens, de poètes ou de devins.
  • Ils possèdent des pouvoirs magiques (divination, dons de voyance).
  • Leurs enseignements sont transmis oralement dans le cadre d’une relation maître-disciple. La mémoire joue un rôle fondamental. Les textes (parfois très longs) sont appris par cœur.

Des proximités linguistiques et littéraires

  • Des locuteurs de deux langues (le celtique ancien et le sanskrit) aux racines communes.
  • Mathieu Halford explique que « le « uide » de druide renvoie à la même racine indo-européenne que celle du sanskrit « véda », soit « ueid », qui signifie le savoir au sens intégral. » Druide et brahmanes sont les dépositaires du savoir.
  • Des textes proches sur la forme (sentences concises et métaphoriques), le contenu, et les règles de versification.
  • Des mythes fondateurs communs. Selon les hindous, l’univers tirerait son origine d’un « Embryon d’or » contenu dans un œuf cosmique flottant sur les eaux primordiales. Pour les druides, le monde a été fécondé par un oursin fossile primordial, l’équivalent d’un œuf cosmique.
  • Une croyance commune dans le pouvoir de la vérité et la puissance du langage.

Des croyances métaphysiques communes vis-à-vis :

  • De la notion d’âme : atma en Inde, anatia pour les Celtes. L’étymologie est proche et renvoie au souffle vital. Cette force vitale anime chaque être.
  • Du statut de l’âme. Elle est considérée par les deux cultures comme immortelle. La mort physique n’entraîne pas la fin, elle est simplement une étape.
  • De la métempsychose/réincarnation. Les druides croyaient en la transmigration de l’âme. On ignore en revanche s’ils pensaient que l’âme humaine migrait vers un corps animal ou végétal (métempsychose) ou uniquement vers un autre corps humain (réincarnation).
  • Du non-dualisme et de l’éveil. Ces croyances sont connues et célèbres en Inde, nettement moins en Europe. En analysant des textes druidiques tels que le Chaudron de la poésie, Mathieu Halford interprète le retournement des trois chaudrons comme les étapes d’une quête spirituelle menant à ce qu’on appelle l’illumination, la réalisation ou la libération.

Le chant druidique d’Amorgen évoque aussi le sentiment d’unité faisant penser à l’union avec l’Absolu ; ce que les hindous désignent par le terme sanskrit moksha (nirvana dans le bouddhisme).

Il est de coutume d’opposer l’Orient spirituel et l’Occident matérialiste. La lecture de cet ouvrage amène à penser que l’Europe n’a pas toujours été ainsi. Il est intéressant de constater que des croyances que l’on croyait typiquement orientales étaient aussi enracinées sur notre continent.

Pour reprendre les propos du couple d’historiens Guyonvarc’h et Le Roux, cité par Halford, « la civilisation celtique propose, à ceux qui veulent bien la recevoir, une haute leçon de spiritualité ».

La tradition hindouiste s’est transmise de maître à disciple sans interruption depuis des millénaires. En Europe, la transmission druidique a été interrompue. Toutefois, elle s’est probablement poursuivie dans des milieux mystiques. On trouvait au sein des premiers monastères européens des druides qui ont pu perpétuer certaines traditions en les mêlant au christianisme. Halford note que des occultistes de la Renaissance ont curieusement prolongé des dogmes qui étaient partagés par les druides. Cela pourrait sous-entendre que la tradition n’a pas été totalement interrompue et que des mystiques intermédiaires ont pu transmettre des survivances de la magie gauloise…

Mathieu Halford souhaite, à travers son étude, nous rappeler les sagesses druidiques longtemps oubliées par l’Occident :

« cultiver le savoir (et plus particulièrement les « sciences de la nature ») et la connaissance pour mieux s’élever, pratiquer les arts pour s’ennoblir, percevoir la sacralité de la nature dans chaque être et chaque chose, intégrer les dimensions invisibles et les énergies subtiles qui se manifestent au-delà de nos sens ordinaires, concevoir la vie comme un cycle perpétuel intégrant l’homme et le reste de la création dans la grande roue cosmique, etc. ».

Autant de valeurs inspirantes pouvant être intégrées dans notre quotidien pour faire face aux crises actuelles.

  • Druides celtiques et brahmanes indiens. Aux sources d’un héritage indo-européen, de Mathieu Halford, avec la contribution de Bernard Sergent (Almora, 325 pages, 20 euros)

Une réponse à « L’origine commune des brahmanes indiens et des druides celtiques dévoilée »

  1. Un article enrichissant sur la structure commune de nos traditions religieuses, et bien documenté 👍

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